«Je me suis inventé un amant»
Divorcée et célibataire, Isabelle a trouvé une solution un peu compliquée pour résister à la pression de ses proches, qui veulent la remarier…
J’étais seule, et alors ? Je m’en sortais très bien, et même beaucoup mieux depuis que James et moi avions divorcé ! J’avais mon métier, mes amis, mes enfants. Cela faisait des années que je m’occupais de ces derniers tandis que leur père, absorbé par son travail et ses séjours à l’étranger, se contentait de brèves apparitions.
Au moment de la séparation, nos deux grandes filles, déjà étudiantes, vivaient encore à la maison. Puis, l’une après l’autre, elles avaient pris leur indépendance et s’étaient installées avec leurs petits amis respectifs. A ma grande joie, elles étaient restées dans la région lyonnaise, ce qui nous permettait de regrouper la famille une fois par semaine dans mon appartement de la Croix-Rousse. Cependant, chaque fois que nous nous retrouvions pour dîner, le sujet revenait sur le tapis. « Alors, maman, quand nous présentes-tu un beau-père ? » C’était un peu plus qu’une plaisanterie récurrente. Mes enfants s’inquiétaient pour moi. Le plus acharné à me « marier » était Simon, le petit dernier, à qui mon célibat pesait plus qu’à moi ! « Qu’est-ce que tu vas devenir lorsque j’aurai quitté la maison ? » me demandait-il. J’avais beau l’assurer qu’entre mes sorties au théâtre et mes diverses activités je ne trouverais pas le temps de m’ennuyer, Simon insistait.
Mes enfants me voyaient-ils comme une vieillarde ? Je n’avais que 49 ans
Un soir que nous étions à la maison avec mes filles et leurs petits amis, Simon a une fois de plus abordé le sujet. « Tu sais, a-t-il lâché, que la mère de mon amie Jennifer s’est trouvé un mec ? » J’ai ri. « Tant mieux pour elle. Elle va enfin laisser à sa fille un peu d’espace ! » Cinq paires d’yeux m’ont dévisagée et je me suis demandé si j’avais dit une bêtise. Ma fille aînée a fini par se lancer : « Ce serait bien que toi aussi tu aies quelqu’un, ça nous rassurerait pour l’avenir. » L’avenir ? Mais, bon sang, mes enfants me voyaient-ils comme une vieillarde ? Je n’avais que 49 ans. Si je devais, comme on dit, « refaire ma vie » avec un homme, il me restait encore pas mal de temps pour dénicher la perle rare ! J’avais, certes, une certaine exigence qui m’empêchait de me précipiter dans les bras du premier venu. J’avais déjà expliqué tout ceci plusieurs fois, mais ce soir-là, lasse de me justifier, j’ai cédé à la facilité. « Vous pouvez cesser de vous inquiéter, ai-je déclaré . J ’ai rencontré quelqu’un. » Les questions ont fusé. « Mais pourquoi ne nous l’avais-tu pas dit ? » « Tu l’as trouvé où, sur Internet ? » « Comment s’appelle-t-il ? » Et avant que j’aie eu le temps de réfléchir aux retombées de mes paroles, j’étais déjà en train de m’enferrer dans mon mensonge. « Il s’appelle Pierre, ai-je inventé. J’ai fait sa connaissance à Paris lorsque j’y suis allée en stage le mois dernier. Il travaille dans la culture. » Puis, pour couper court aux interrogations, j’ai déclaré : « Pierre et moi venons de faire connaissance. C’est tout ce que je vous dirai pour le moment. C’est ma vie privée ! » Après ce dîner, je me suis demandé ce qui m’avait pris de mentir à mes enfants alors que la vérité a toujours été pour moi un principe d’éducation. Est-ce que, en prétendant avoir un amant, j’avais cédé à la pression sociale qui pèse sur les femmes célibataires ? Est-ce que j’avais voulu faire plaisir à mes enfants ? Ou bien est-ce que j’avais ébauché les grandes lignes d’un mensonge révélateur de mon désir inconscient de tomber amoureuse ? Il y avait sans doute un peu de tout cela...
Tout le monde était content pour moi !
Très vite, les choses ont pris des proportions étonnantes. La rumeur de mon nouveau « bonheur » a vite dépassé le cercle familial. Je ne pouvais plus croiser un ami, un collègue ou un voisin sans qu’il me fasse un clin d’œil et mentionne « ce fameux Pierre que nous avons hâte de rencontrer ». Je n’ai pas voulu faire marche arrière. D’autant que je découvrais un grand avantage à prétendre que j’avais un amant : tout le monde était content pour moi ! Afin de ne pas me trahir par des invraisemblances et des contradictions, j’ai dû construire le personnage de mon amant imaginaire. J’ai même acheté un petit carnet, spécialement pour y noter les détails concernant « Pierre ». Je devais faire attention à ne pas me contredire ! Désormais, lorsque j’allais à Paris quelques jours voir une expo ou un spectacle, je prétendais que je retrouvais Pierre. En réalité, j’allais chez Margot, une amie que j’avais mise dans la confidence et qui, tout en se moquant un peu de moi, avait accepté de se prêter à mon jeu. Et lorsque nous sommes parties toutes les deux une semaine au Maroc, j’en ai profité pour dire que je voyageais avec Pierre. Je donnais peu de détails, mais ces petits séjours suffisaient à rassurer ma famille. « Invite-le à la maison ! » répétaient mes enfants. Je prétendais que j’attendais d’être certaine de mes sentiments et de ceux de mon amoureux. Je ne sais pas si tout le monde était dupe, mais moi j’avais la paix. Cela a duré un an, puis deux.
C'était merveilleux de dire la vérité
Quand ma fille aînée s’est mariée, elle a bien sûr insisté pour que j’amène Pierre à la noce. J’ai senti que je devrais bientôt mettre un terme au mensonge. J’ai déclaré que mon amant et moi ne nous entendions plus si bien, que nous nous posions des questions sur notre relation. J’ai vu réapparaître l’inquiétude dans les yeux de mes enfants. Au mariage de Sabine, j’ai fait la connaissance de Mathieu, un cousin de la belle-famille, un peu plus jeune que moi. Charmant, original et spontané, il m’a plu tout de suite. Nous avons passé la soirée à danser et à bavarder, ce qui a été très remarqué. A un moment, mon fils Simon m’a prise à part : « Et Pierre, alors ? » Il était scandalisé de me voir batifoler avec Mathieu alors que j’étais censée avoir un amant officiel. J’ai éclaté de rire, mais j’ai décidé de ne pas le choquer davantage. Mathieu et moi sommes restés sages ce soir-là. Mais nous avons juré de nous revoir. J’étais confrontée à une situation inédite. Je ne crois pas que quiconque avant moi se soit retrouvé dans cette situation délicate : rompre avec un amant imaginaire ! C’est pourtant ce que j’ai dû mettre en scène, et au plus vite. Car j’avais très envie de passer du temps avec Mathieu, à qui mes enfants s’étaient empressés de raconter que j’avais « quelqu’un ». C’était, en un sens, amusant de les voir prendre la défense d’un homme qu’ils n’avaient (et pour cause !) jamais rencontré. Mais il ne s’agissait pas de décourager Mathieu. Je ne voulais pas entamer une nouvelle relation en me présentant sous les traits d’une mythomane, aussi n’ai-je pas détrompé Mathieu lorsqu’il a évoqué l’existence de Pierre. « Cette histoire est en train de se terminer », lui ai-je dit. Pour que les choses soient claires, je suis allée passer trois jours à Paris. Simon m’a accompagnée à la gare et, à mon retour, j’ai arboré un visage très digne. A mes enfants, rassemblés chez moi pour dîner, j’ai seulement déclaré : « Pierre et moi, c’est fini », refusant d’en dire plus. J’avais passé trois jours à sortir et m’amuser avec mon amie Margot, je ne voyais pas l’intérêt d’inventer des détails sur ma rupture. Puis j’ai observé quelques jours de « deuil » avant de rappeler Mathieu. « Est-ce que tu as une soirée libre ? » m’a-t-il demandé. « Je suis parfaitement libre de mes soirées et de mes nuits », ai-je répondu. C’était merveilleux de dire la vérité.